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  • Photo du rédacteurHenri Baron

AUTOBIOPOÈMES - Fluctuat nec mergitur (1ère partie)

Dernière mise à jour : 2 mars 2023


~ de janvier à juin ~


Textes écrits de 2000 à aujourd'hui



Jardins du Luxembourg, la Liberté éclairant le monde, d'Auguste Bartholdi (1834-1904) - sculpture de bronze ayant servi de modèle à la Statue de la Liberté offerte aux États-Unis en 1886.

ATLAS - I

J'attends dans le silence inquiétant de la nuit blanche et noire Pourquoi n'entends-je ce soir que les battements de ton cœur heurter les carreaux ruisselants et le souffle angoissant de ta bouche soupirer sur mes lèvres closes La nuit muette crie sa souffrance dans l'ombre sombre de ton absence Les mots se consument avant d'être dits et mes rêves meurent avant de prendre vie J'attends dans le silence inquiétant de la nuit noire et blanche que s'estompent les silhouettes monstrueuses et qu'un jour libateur me libère de ma torpeur J'ai la gorge sèche d'avoir trop brûlé les mots avant qu'ils ne t'atteignent J'ai le cœur épuisé d'avoir espéré Les feux de l'amour laissent un goût de cendre amère Mais je vis Je survis Et finis par m'endormir quand la ville se lève autour Enfin le rêve vit

Paris, 24 novembre © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

 


ATLAS - II

Le chat blanc sur la terrasse Immobile se prélasse Contemple le temps qui passe Une étoile dédicace Le livre noir de l'espace Qui se déchire agace et se glace

Paris, 7 décembre © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

OARISTYS VOLUBILIS


L'éternité est faite de petits éphémères. Ces moments magiques où le charme semble figer le temps, dans un frisson de tendresse, dans un baiser volé à ton sourire, dans ce parfum d'amour qui mêle nos deux corps voluptueux dans la caresse douce de nos mains fiévreuses ardentes qui se cherchent s'ouvrent se serrent, de nos ventres qui se frôlent se dérobent se touchent encore, dans nos vies entrelacées à l'infini, dans les éclats de rire à nos yeux ébréchés, dans la saveur océane de ta peau douce et nue.


Paris, 29 décembre © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 


GRANDS PETITS BONHEURS



Petit Bonheur au clair de lune À la flamme d'une bougie Qui bleuit les draps neufs froissés Où tu languis après l'amour Petit Bonheur le vent d'hiver S'arrête aux carreaux poussiéreux Ton corps bouillonne sous les draps Où tu languis après l'amour Petit bonheur à l'âge tendre L'aube naîtra des cendres grises L'aube naîtra sur le sillon De tes reins où ma bouche s'use Petit bonheur à l'âme en peine Je t'aimerai comme un poème Écrit de mon sang rose rouge À mes lèvres où ta bouche s'use Clair de lune mon grand Bonheur


Embrun, 31 décembre © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

NOUVEL AN


J’aime l’éclat de ton rire Les étoiles dans tes yeux et le scintillement de tes lèvres Le parfum de ta peau J’aime le naufrage de ton cœur Qui chemine sous la lune Dans les méandres sans fin De l’amour et du destin J’aime la vie qui palpite En ton sein roide et fier Et l’humilité de ta bouche Où s’usent mes baisers J’aime le voile cotonneux Que tisse la nuit Sur nos corps fiévreux Et ton charme ensorceleur Je T’aime


Embrun, 1er janvier © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

AN NOUVEAU


Le ciel déborde de paresse en ce matin de limpide et bleu Sur le vieux cadran de pierre à la verticale l'ombre doit s'être figée Même les cigales semblent succomber Savourer le temps suspendu ses parfums mêlés ses silences mélodieux sa chaleur douce et fruitée Fermer encore les yeux Attendre La caresse d'un mot d'un baiser Rien Rien dans cette maison muette qui incite à quitter les draps tièdes et plissés du lit devenu trop grand

Embrun, 1er janvier © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

7 JANVIER 2015

Douze. Douze coups de midi. Douze fois douze coups de mitraille. Douze. Douze vies volées. À l’humour. À l’amour. Tant d’autres meurtries. À jamais. Pour toujours. Douze. Douze vies insoumises. Inachevées. Douze éternités. Doux irrespect. Inexorablement. Imperceptiblement. Les cœurs saignent et tu ne comprends pas. Ce détestable frisson qui te parcourt l’échine. Tu trésailles. Les larmes s’échappent. S’évaporent. Se métamorphosent en un gigantesque éclat. De vie. De rire. Rire de la mort. Rire plus fort que la mort. Rire plus fort encore. Encore et toujours. Toujours. Tous jours. Jour. Jour après la nuit. Lacérer les ténèbres. Semer des étoiles. Laisser germer le soleil. Laisser gerber le Verbe et pisser l’Espérance. Escracher d’encre. Sagouiller de peinture. Chariboter les déesses. Jardiner les divins. Enrosserles roussins. Travioler les riflards. Bricoler leurs bibardes. Douze. Douze tirent leur irrévérence. Bravo les braves.

Paris, 7 janvier © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


ALCINE


J'aime La caresse du ciel La promesse des vents La tendresse des flots J'aime Le soleil dans tes yeux Le sommeil sur ta chair

Quand s'enrayent mes mots J’aime La lune mordorée Le galbe de ta robe Où trébuche le verbe J’aime Le brisant de nos verres Et l’envers de nos corps Dans la brume de cendre J’aime Les versets versatiles Sous l’averse sanguine Qui s’encre de tes rêves J’aime Ce verso vierge encore Qu’effleurent en silence Tes lèvres étoilées J’aime Le doux vacillement De nos maux qui s’étiolent Sur les pages du temps J’aime Ton âme délétère Ta flamme et ton enfer Où grésille ma vie J’aime Ton livre du désir Ton charme ensorceleur Foudroyante cigüe


 

ALCINOE

Love is The caress of the sky The promise of the wind The fondness of the waves Love is The sunlight in your eyes The sleep on your limp skin When my words block themselves Love is The golden honeyed moon Your lovely shapely dress Where the god’s word stumbles Love is Our wine glasses breaking In the ash mist wrapping Our bodies upside down Love is The versatile verses Under the bloody shower Inked because of your dreams Love is This still blank back That your black starry lips Deflower in silence Love is As the gentle wobble From all our waning woes On the time’s white pages Love is Your deleterious soul And your flames and your hell Where my shit life sizzles Love is Your record of desire Your bewitching charm up To the fatal hemlock


Paris, 12 juin – 12 janvier © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

ONDINE

C'est la semaine où jeudi 12 vaut vendredi 13 jour lugubre

Depuis si longtemps je dis que sur terre sur mer à la piscine aussi l'enfer est bleu de cris de silences de pleurs de rires Saut

enchainement

brasse

une ondine

elle nage nage nage

première longueur

nage nage le bord approche soudain le drame

enfant si frêle presque noyée petit corps en apnée vite vite le temps défile le temps s'étire inerte à moins trois mètres on la remonte en surface état d'urgence vite vite le temps s'étire le temps défile cœur figé cœur massé vite vite le temps s'étire le temps défile paupières baissées bouche à bouche vite vite le temps s'étire le temps défile

Soulagement ramenée à la vie sauve in extremis extirpée des limbes la sirène s'anime le temps lentement se fige Oxygène

Vivante vive vivas Personne n'entend juste un brouhaha dans la tête vertige Vivante la sirène celle des pompiers vivante Elle vit on peut recommencer à pleurer rire crier chanter Bleu le paradis l'est aussi


Paris, 12 janvier HB © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

21 JANVIER

Il neigeait hier.

Peut-être neige-t-il encore.

Peu importe.

Je ne vois que le soleil

au-delà d'un ciel blanc.

Melwenn.

Elle s'appellera Melwenn.

« Princesse blanche ».

Comme une évidence.

Comme la page d'une vie qu'on tourne

où tout reste à écrire.

Comme le prélude

d’un nouveau chapitre.

Comme un amour

lumière à l’infini.

Princesse.

(Et pourquoi pas reine pour une bébée baronne ?)

Melwenn pour Verlaine

et sa lune mellifluente.

Melwenn comme un miel doux.

Melwenn comme un pied de nez à un traître roi décapité.

Parce que sa sœur eut le bon goût de naître un 18 mars.

Melwenn après tant d'attente et d'espoirs noyés. Par tant de pleurs. De doutes. De petits renoncements et de grands reouicements.

De lentes remontées à la surface. Dans le silence des mots qu’on ne peut encore partager.

Melwenn parce qu'une et elle-seule.

Melwenn parce qu'il le fallait.

Melwenn pour ce petit cœur qui s'agite

qui rythme déjà notre vie.

Pour ce poing levé in utero.

Marcher un jour à quatre et puis deux pattes. À clochepied et pied-de-nez.

Premier jour de crèche.

De maternelle.

De grande école.

Apprendre.

S'élever.

Pour voler un jour de ses propres ailes.

Sans se laisser mal traiter.

Sans jamais se soumettre.

Sans jamais s'enliser dans la haine.

Aimer.

À armes égales.

Lutter.

Pour l'égalité.

Pour la terre à vivre.

Pour des demains qui ne déchantent pas.

Pour des jours heureux.

Voguer au bout de ses rêves.

Étoiler ses yeux.

Mettre du bleu.

Du rouge.

Du flamboyant.

Du beau.

Tomber.

Accepter ses erreurs.

S'en attribuer le droit.

Se relever.

À la force du cœur.

Nous élever.

Imaginer.

Inspirer.

Danser.

Chanter.

Aimer.

Vivre.

Libre.

Paris, 21 janvier

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

26 NIVÔSE AN CCXXIX


à Melwenn


J’use mes rêves sur l’asphalte enneigé

un chant monte de la foule

d’un pied sur l’autre en cadence

tu embrasses le monde

et son tumulte

noir rouge jaune


* * * * * * *


Eux bottés casqués

carapacés

matelassés

en marche

ils nassent

agacent

menacent


* * * * * * *


Matraques dressées

en sceptres d’autorité lugubre

ils emmurent la clameur

soudain le silence

glacé


* * * * * * *


Tu me sors de ma torpeur

rassembles sur un arbuste

les flocons blancs

immaculés

me les lances

en un éclat de rire

qui masque tes yeux


* * * * * * *


Tu es née sous la neige

un presque soir après nivôse

deux cents vingt et un

un jour d’histoire

de roi décapité

Princesse blanche

au poing levé

drapée de rouge

et déjà libre


* * * * * * *


« Nous on est là

Pour l’honneur des travailleurs

Et pour un monde meilleur »


* * * * * * *


La neige est plus légère

désinvolte

insoumise

moins assurée

entre la grâce fragile

de tes bras

et l’amour malicieux


* * * * * * *


« Papa

Princesse blanche

C’est pas un peu xagère »



Paris, avenue Daumesnil, 16 et 21 janvier

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

INHUMANITÉ


Quand l'État se défausse ne protège pas pris en flagrant délit d'inhumanité quand les portes hostiles ferment les yeux sur la misère de deux tours de verrou comme on s'emprisonne de l'intérieur ou plutôt comme on emprisonne au froid à la faim ceux du dehors des bras heureusement s'ouvrent hospitaliers embrassent offrent la chaleur du don et leur silence hurle aux galets qui tiennent lieu de cœur à ceux qui ont oublié qu'eux leur pères leurs ancêtres un jour fuirent furent pauvres

affamés étrangers



Paris, 22 janvier

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



Le 13 janvier 2022, un campement de migrants a été rasé au tractopelle à Grande-Synthe.

Le 16 janvier, sous les yeux des compagnies de CRS, les tentes d’un campement de migrants étaient lacérées à coups de couteaux.

Le 14 janvier, un jeune migrant a été retrouvé noyé dans la Manche.

Le 24 novembre dernier, 27 personnes avaient trouvé la mort en tentant de rejoindre la Grande-Bretagne.

En 2021, plus de 35000 personnes – adultes, enfants – ont tenté de traverser la Manche, parfois sur des embarcations de fortune, souvent au péril de leur vie. Un quart d’entre elles ont pu être secourues.


 


CARREAU DU TEMPLE

Que les femmes sont belles à danser dans le soleil hi-vernal les ombres arabesquent leur peau nue leur danse est mélancodieuse maléfangélique

danse des sortilèges danse essence des en-corps danse essentielle elle rythme leurs sens encéleste les sentiments elle est cette fêlure de l'âme elle est ce carreau brisé talon d’Achille point névralgique de l'armure temple de la chair et du désir

du sourire en scène

acoustique en cette cour des miracles en cet oasis aux mirages

elles innervent

enfièvrent

cette halle de verre et d’acier

aux mille reflets

infantes de la balle

paumes vers les cieux

yeux dans mes yeux

implorant le fervent

la transe amoureuse


* * * * * * * * * * * * *


Fasciné par ce regard altier

presque pervers

avatar atavique démoniaque à damner les rois les reines dionysiaque à charmer les devins et les divines je me laisse subjuguer

enflammer

envouter

emporter

bercer par le sac et le ressac la beauté névrosée de cette fille de cette femme jeune ou vieille qu’importe matissée

métissée

mystique mais libre

jusqu’au final en farandole

infernale

océane et tellurique

en anachronique chorée

vertige de païennes derviches

bal des ardentes

avant l’eschatologique effondrement


* * * * * * * * * * * * *

Par la transe

ou la danse

elles périssent

ressuscitent

sans cesse

de leurs cendres


Paris, 30 janvier

HB © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

DUM SPIRO SPERO

Ton absence nue Sentence absolue Et soudain le silence étiré jusqu’à ce long déchirement où tu sembles avoir vécu toutes tes vies L’ultime engloutit tes souvenirs froissés comme les draps après nos luttes comme la mer énervée recouvre dans son tumulte les galets de la mémoire les lave et les polit jusqu’à cette insultante blancheur Fallait-il que ta mémoire fut rance et mensongère pour être ainsi lessivée Quelles horreurs légitimaient l’exil de mon âme fissurée

Paris, le 7 février Longues-sur-Mer, le 26 février © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

J'ai décidé de vivre à l'âge où meurent les messies J'ai largué les amarres pour d'autres rives d'autres ports confié ma route à une étoile incertaine

Paris, le 12 février © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

MÉTEMPSYCHOSE DE LA POÉSIE



Sur les chemins des chimères Sous les reflets de la lune Le poète court après les astres Sa quête immémoriale Ruisselle sur les collines Déflore les roses du destin Éclipse ses pensées célestes Le tumulte des sources Assourdit le silence des sens Le poète attend l’automne Et ses brumes iridescentes Les fébriles fées des sources Exilées dans une ère anandryne Le désaltèrent et l’enivrent Il lève l’ancre Libère l’encre de ses veines S’éloigne des sombres rives amères De la cruauté de leur flamboyance Le voici seul et nu Pérégrin dans l’immensité De la foule aveugle et sourde Le voici seul tremblant Sans sève et sans ascèse Juste avec le grain du passeur Grain de l’âme nomade tourmentée Grain du cœur philanthrope Qui corsairise les maux Et contrebande nos mots Il est plus que temps d’incendier les cieux Et métamorphoser la folie

Paris, le 15 février Longues-sur-Mer, le 27 février © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

VACANCE DE VACANCES


Parce que je suis au travail à trier classer ranger

rédiger

Parce que sept semaines viennent d'empoisonner l'école ses élèves ses personnels


* * * * * * * * * * * * *

Parce que la hiérarchie s'en fout tête coulée dans le béton la hiérarchie s'en fout cœur d'acier bruni rouillé la hiérarchie s'en fout sourde et muette comme dieux aux prières

* * * * * * * * * * * * *


Parce que la hiérarchie ne s'en fout même pas

elle tisse sa toile éjacule son venin libéral éructe ses éléments de langage manage à donner la gerbe à faner l'espérance elle réalise son vœu sa mission son horizon elle s'acharne en kaki

enchemise en noir

des lendemains qui déchantent

quand le ver se sera bientôt bâfré du fruit

qu’il n’y aura plus de pulpe

ni d’espoir de germination personne ne sonnera plus la récréation

* * * * * * * * * * * * *


Parce que Paris est sous le soleil que la cour ne résonne plus des cris d'enfants et que j'entends au loin par-delà le trafic périphérique le vent dans les falaises le sac et le ressac sur les rochers mes muscles mon cerveau m'abandonnent il fait sommeil il fait rêve une sieste sur un banc à l'abri de la pierre à l'abri du temps qui passe et pèse et du grand capital


* * * * * * * * * * * * *

Je ne partirai pas demain

Paris, le 19 février © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

 

GRUES CENDRÉES


Huit heures

à la fenêtre de ce troisième étage équivalent de cinq

Huit heures

déjà

encore

Huit heures

la nuit fut blanche

l’aube est grise

aux fausses promesses

Huit heures à l’âme noire

le parisien n’est pas lève-tôt

les fenêtres s’illuminent peu à peu

je ne dors pas

me lever ne m’est ni nécessité

ni fardeau


Huit heures à la sonnerie

alors peut commencer le ballet des grues

aux ailes de cendre

derviches de métal

elles accompagnent le sifflet des merles par le grincement de leurs élytres d’acier


Comme en apesanteur

malgré leur bât

et leur long cou comme un mat du White Pearl

les tapineuses tournent

virent d’un sens à l’autre

enroulent les volutes

de nos voluptueux désirs


Ces croix cupulées

aux bras asymétriques

effilochent les brumes de ma pensée

ou la fumée de mon café

En oiseaux de mauvais augure

les sapines touchent le ciel

encagent la lune

et pointent un paradis païen à la certitude factice


Je me détourne de ces potences anthropomorphes

je les avais d’abord trouvées belles


Comme elles

il me faut aller tapiner

me déplier

me déployer

oublier qu’on m’a coupé les ailes

et plombé le cœur

Paris, le 21 février © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

 


GARE MONTPARNASSE



Terminus

Gare Montparnasse

j'y ai perdu mes nerfs

j'y ai rompu mes caténaires

je n'y suis plus qu'un train fantôme

sans passagères

le temps passe et dégénère

parti trop tôt

arrivés trop tard

les passagers restent à quai

débarqués en plein hiver

avec mes amours qui s'en souviennent

avec Verlaine

feues les amours d'hiers sans lendemains

en alexandrains

« Le train traçait le jour et déchirait la nuit

Ramenait les amours, abolissait l’ennui. »

Je suis un train

train quotidien

train couchette pour noctambules

sans destinée

sans correspondance

sans deux minutes d'arrêt

sans coup de sifflet du chef de gare

sans amoureuse transie de m'attendre à l'arrivée

sans amoureuse tremblant du chagrin des départs

je file parfois si vite qu'on dit que je vole

je ne m'arrêterai pas à Poitiers

pas à La Rochelle

juste un détour

un dernier tour de piste

sans étoiles

Je suis un train troubadour

boute-en-train

me voici sans rime

sans âme

sans amour

sans personne à étreindre

Je suis un train

à trainer sur les ponts

à ne voir jamais la fin des tunnels

un traine-savates

un traine-comète

à trainer des mariées à l'hôtel

à trainer des divorcées à l'autel

J'ai entraîné des unes et des autres

vers des luttes vers des grèves

des mômes vers leurs rêves

des Bretons vers où la terre prend fin

des Parisiens partout

des Corses vers la liberté

des Basques au-delà des frontières

des footeux

des matheux

des mateurs de beau

des armateurs

des amateurs d'histoires

des chercheurs en Histoire

des amoureux de la nature

et du verbe

des poètes à la marge

à publier ou non

des vedettes du showbiz

des géomètres de la rime ou de ta peau

des curieux de l'univers

des croyants en prières

des mécréants

des athées

des hérétiques

des malades sévères

vers leur station balnéaire

des médecines douces

des médecins fous

pas trop j'espère

de fanatiques

d’islamistes

de complotistes

de racistes

de rassemblementnationalistes

de zemouriennes

de zemouristes

mais des humoristes

des humanistes

des journalistes free-lance

des surfeuses en freestyle

Voilà je suis un train

pas même fichu d'écrire

comme je me l'étais promis

un joli quatrain

sur la gare Montparnasse

si je m’astreins au beau

je suis un faux-train

train de sénateur

puis train de folie

j’en essouffle les foules

la raison me contraint

elle ne voudrait que vérité

Je suis un train

triste à quai

sans entrain

de rame en rame

je rame

de gare de triage

en délestage

je hais les gares

à perpétuité

à quai le regard vide

hagard

composté

dans l'angoisse du mauvais aiguillage

n'ayant nulle part où aller

à part de gare en gare

je m’égare

me gargarise d’indécence

que cette gare en courants d’air est froide

où courent les gens pressés

derrière le temps qui ne s’arrête jamais

ils courent après du vent

oublient les passions

oublient les voies

ils semblent électrons libres

ils sont aliénés aux aiguilles de leur montre

qu’ils portent en oreille

pour rester dans le train en marche

mais leur train de vie les perd

mesdames et messieurs contrôle des billets

J'aurais préféré mille fois

un bateau à voile

pour me balader en ballade

avec la mer et ses iles parfumées

mieux vaut le ballast d’un petit sous-marin

au milieu des étoiles et des oursins

que celui pré-destiné de ce chemin de fer rouillé

sinon j’aurais même été cheval

à regarder les bovidées brouter par centaines

de jolies fleurs blanches au cœur jaune

sans dégout pour leur parfum fétide

les vaches tachetées m’empêcheraient de ruminer

d’ailleurs j'aime les prés verts

Georges et Léo aussi

ma prison c'est cette voie ferrée

faite de rectilignes et de courbes

mais toujours parallèles

j’avoue j’ai parfois quitté les rails

certains devraient essayer

avec le temps va tout s’en va

on en oublie la voie

tu ne dérailles jamais peut-être

toi à qui je donne du vent

et l’envie de te botter le train

on se croit motrice

on n’est que tortillard

à remuer son derrière

prends garde à la barrière

un arrière-train peut en cacher un autre

Je suis un train

de passage

jamais à niveau

de repassage

à la sagesse rouillée

train de fret

de marchandises

et ses wagons à bestiaux

ses wagons citernes

si ternes

train grumier

train miniature

pour fuir les petites traitrises de l’enfance

je ne serai pas en retard

en cet ultime voyage

s’il vous plait j’aimerais un aller

sans retour



Longues-sur-Mer, 1er-2 mars © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

8 MARS


Je ne t'offrirai pas

de roses du Kenya

je ne t'offrirai pas

un poème à l'eau de rose

je ne t'offrirai pas

le rose de mes muscles

je ne t'offrirai pas

des soies des dentelles roses


Pour vaincre le patriarcat

tu as besoin

de mégaphone

de gants de boxe

de drapeaux rouges

noirs

arc-en-ciel

pour lutter

pour tes droits

ceux de tes sœurs

ceux de nos filles


Tu n'as pas besoin de moi

mais je suis

je reste

en ce même combat


Paris, 8 mars

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


En 2022, l'inégalité salariale entre hommes et femmes est d'environ 25%. Comme si, chaque jour à 15h40, elles continuaient de travailler sans être payées. Au 21e siècle, la lutte continue pour l'égalité réelle, pas seulement en droits. Et il n'est évidemment pas que question de salaire...


 

ÉPOUSAILLES - I


Je t'épouserai  un samedi peut-être matin sans doute d'été sûrement Je t'épouserai sous un ciel bleu peut-être soleil sans doute d'amour sûrement Je t'épouserai pour très longtemps peut-être la vie sans doute sans fin sûrement

Paris, 12 mars © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

 

ÉPOUSAILLES - II


Il y aura le soleil Sur ta robe alba rosa Ce petit matin d'été Où nous mêlerons nos vies Il y aura le soleil Sur ton visage ton ventre Cet après-midi d'été Où nous mêlerons nos corps Il y aura le soleil Sur ce frêle bout d'amour Ce soir tendre et bleu d'été Et il te ressemblera

Paris, 15 mars © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 


18 MARS


Le chemin de pierraille rêve encore et se soulève quand claque le drapeau rouge des colères de femmes et d’hommes

qui n’ont dignement à défendre

qu’une parcelle d’humanité


Paris, le 18 mars

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

FAILLES


fentes abysses brèches cratères gerçures fractures blessures précipices interstices estafilades craquelures échancrures

écorchures déchirures

crevasses cicatrices

entailles

rainures

balafres

brisures

fissures

fêlures

failles

J'aime tout le vide en toi tout ce qui s'échappe tout ce qui parfois m'échappe ou te ressemble où je m'engouffre



Paris, 20 mars

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

À TOUT CŒUR

Mon cœur

te voilà vieux soudain dans ce petit matin décati connaitras-tu longtemps encore la douceur de l'estive ces soirs infinis des étés en famille l'embrasement de l'automne et la porte ouverte de Samhain avant les temps de noirceur qu'illuminera le vin doré des vendanges tardives patienteras-tu jusqu'aux mystères aux sourires d'Yule

aux yeux étoilés des gavroches

devant la buche flambée au marc de prunelle


Paris, le 27 mars

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

CONCERVATOIRE

Ouvertes sur le printemps les fenêtres laissent s'échapper des gammes hésitantes assurées de violon basson quand le piano s'en mêle avec un prélude de Bach la robe rouge sur la place se met à danser Dans le reflet déformé le réel se libère les illusions s'emmêlent les droites s'encourbent les courbes se fondent la perception chavire

À trop vouloir ressusciter les formes

les mots fusionnent la raison naufrage le temps se brouille se ride se fige Il est déjà tard

Ou peut-être trop tôt



Paris, 25 mars – 3 avril

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


Photographie © HB - Conservatoire Paul Dukas, Paris 12e, le 25/03/2022




RÉGIME CEINTURE




Laissez-moi dans un mouroir dans un hache-paix prescrivez mon droit d'asile cam-isolez-moi aliéné je le suis déjà par ordonnance par le travail le capital par l'amour trop fidèle mon cœur fatigue ma mémoire flanche mes neurones dansent la gigue un comble pour qui ne sait danser mes analyses éjaculent urine et sang gerbent inutiles et sans-gêne les médecins m'assomment m'assourdissent me brisent les tympans

irréfragables ne fumez plus je ne fume pas ne buvez plus je bois pour ne pas fumer ne mangez plus je mange par nécessité

par beauté

volupté interdits les plaisirs refoulez vos désirs vivez sain ascète cénobite sinon vous ne vivrez pas longtemps vous clamserez brusquement ou dans d'horribles souffrances éternelles vous vous retrouverez en enfer Docteur je vous aime bien mais pas la vie sainte-nitouche que vous m'ordonnancez j'aime le désordre dans ma tête dans mon cœur mes vers et mon bureau

j'aime l’ivresse du désir

marcher en bord de mer et la picole des deux dimanches je fumerais bien une pipe au soleil de ma cheminée

retrousserais encore quelques robes

d’hiver ou d’été

trousserais bien quelque majesté

je n'aime ni la soutane ni le voile

ni la messe ni les barreaux ni la morale à deux balles

hédonophobe

et grossophobe la mort inéluctable m'impressionne moins que la vie sans plaisir je ne veux pas vivre avec le corps ou le cerveau mort je mourrai sans remords sauf un ou deux peut-être et je vous l'accorde le regret de n'être pas poète


Paris, 5-6 avril

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

10 AVRIL 2022

Six heures d'insupportable impuissance

entremêlée d'espérance

vaine


Six heures à laisser s'écouler

ce cauchemar venin

se répandre en mes veines


Le voilà réalité


J'ai beau rager

pleurer

rien n'arrêtera ce flot d'amertume

en nuit de défaite

poison printanier


Ne pas dormir

ne pas sombrer

s'inventer un après

renouer le fil des luttes

point de suture

renouer avec nos valeurs

nos couleurs

comme une évidence


Œil sec et poing levé

fier

libre

solidaire

adelphique

sans frontière

sans culte d'aucun dieu fût-il de sel d'or ou d'argent


Pour la Terre

ses enfants

nos enfants


Demain


Maintenant



Paris, 11 avril, 2 heures du matin et des minutes d'éternité

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

SANS NUANCES DE GRIS

Le ciel s’est perdu

il pleut des cordes à se pendre

ou suspendre les rêves


* * * * * * * * * * * * *


Chat pelotonné sous la fenêtre

mer de coton cendré

à filtrer les échappements

asphalte à crisser les pneus larges

des pseudos sportives à pollution de particules


* * * * * * * * * * * * *


Jusqu’à ma tempe où le sang pulse

jusqu’à mon humeur sans nuances

tout est futilement gris


Gris

et brouillé


Bruyant



Paris, 12-13 avril

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 


VULEMU A VITTORIA DI VELUTTU

Ivre de verjus ou de Vouvray de Graves ou de Gevray de Rivesaltes ou de Calvi de cervoise ou de vin verdelet de calvados ou de vodka d’eau de vie de genièvre je divague à la vêprée vernale et tardive prêt à vaciller là sous un réverbère dévoré par une fièvre virale je vaironne l’aventure

*************

Vénus de vair ou d’épaves vêtue Havraise ou Javanaise impavide ou volubile dévote ou frivole fauve ou captive vénale ou vestale servante ou souveraine inventive ou couventine merveille ou vilaine sauvage ou cultivée vice et vertu inoffensive ou louve Gervaise ou Bovary serve ou échevine novice ou chevronnée évanescente ou persévérante éruptive ou réservée naïve ou dépravée épouvantable ou furtive veuve ou virginale margravine ou lavandière avenante ou revêche vouivre ou votive vénérienne ou virtuelle

*************

Pour vous favorite je coronavirerai vert ou vermillon d’envie d’en vie de rêve en grève en révolution d’avril à janvier et même vingt hiver je me laisserai vassaliser je serai votre esclave Gavroche en nivôse Valmont en pluviose vicaire ou voyou vulgaire ou savant vénéneux ou dévoué griveton ou chevalier tavernier ou prévôt ambivalent derviche virtuose invulnérable j’inventerai des épreuves deviendrai vulvomancien polyvalent versatile ou valeureux rival

*************

Et vous voilà

*************

Salva mi vèrgine

*************

Irréversiblement invincible je soulève votre volve dévoile votre visage ivoire vos lèvres voraces vermeil et voleuses je révère vos ovales votre avant-cœur vallonné vos duveteuses vallées pelviennes et votre Vésuve je m’abreuve de sa lave aux suaves flaveurs j’y trouve une fève subversive et vous soulève vous bouleverse et vous chavire (je vous vois venir)

*************

Par vous dévêtu de mes violine livrée et juvénile réserve enchevêtrées je découvre avide émerveillé par vos virevoltes et ses voluptueuses volutes votre verso sans veto l’envers du volcan vice-versa pour une rose des vents et son vase de velours sans esquive avisé je relève la bravade nouvelle dérive sans avarice en ce versant de lave vers des rives vierges et divergentes

*************

Mi voli per voi

*************

Vénérable jouvencelle aux ogives lascives divinité des vignes aux mauves nervures vite vous ravivez la sève d’une vertigineuse voltige

*************

Je me love en ce nirvana et l’étuve de vos effluves de vos sensitives ogives havane et pavot et verbe volatils mais vivaces viennent mes vers dans le velouté de votre voix et votre villanelle festive à la viole des trouvères et au clavecin vespéral

*************

Je vous livre ma réversible et vénielle irrévérence qu’elle ne vous révulse en vain ni ne vous énerve mais vous ravit en votre convalescence post-hourvari de vos vêpres telle un antivirus en connivence évangile grivois sans calvaire sans entrave

*************

Vi salvu vèrgine

Paris, 25-28 avril © Autobiopoèmes, Fluctuat nec Mergitur


 

UN DEMI-SIÈCLE DE MÉMOIRE

Que valent mes nuits passées à veiller nos mémoires quand l'aube blême ouvre ses yeux ternes et refuse au soleil l'au-delà l'horizon Que valent mes nuits au petit jour indifférent quand les étoiles quittent mes yeux cernés que se cauchemardisent mes rêves Aveugle et sourde à mes odes plaintives tu passes au jour d'après procrastines tes amours volages les vaticines aux vents en vogue les vends au plus offrant sur les vagues à la mode Je croyais vivre en Poetrie zozotais tintinnabulais deux-trois rimes mauvaises et véreuses alignais aliénais deux-trois images encrassées et verbeuses je croyais que poésie valait vie mais tu n'aimais de vers que ceux qui me rongeaient et rangeais dans les arcanes du temps la mémoire de mes veines vaines encres à la noirceur bleuie estampes estompées visages sans vie floutés Que valait mon ennui debout c'est l'aurore dehors l'horreur du réel sous sa robe de plomb je replonge en la nuit en guetteur d'étincelles humble allumeur de rêves ou de réverbère Que valent nos nuits

Longues-sur-Mer, 28 avril © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


SEPT LUNES

Ton cœur s’ankylose et l’ennui le recouvre La rose bourgeonne pourtant ne s’ouvre Fanera-t-elle dans la moiteur de l’été Les nuits s'écourtent Le sommeil gagne le jour Les sept lunes pâlissent où les rêves s’évanouissent Le sablier égrène la vie lentement mais soudain se vide Irradiant les ténèbres ton cœur explose

Paris, 6 mai © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

AUX FLANCS


Je n'ai rien d'autre à tirer que le temps lentement

comme une excuse d'être encore là las aussi parfois à défaut d'être l'as à quatre feuilles qui pique écœure je reste sur le carreau le temple attendra je brouille les cartes d'un destin qui m'a fait valet pas même de cœur un peu trop fou du roi un peu trop sans le sou pour être baron je n'ai rien d'autre à tirer que les cartes taraudées au fond du vieux panier

Je n'ai rien d'autre à tirer qu'une infâme piquette à boire cul sec pour éviter le feu de boyaux aussi vite que les amours qui se tordent ces amours brèves ni de cœur ni de cour sinon celle des miracles dans un creux sombre quand on n'est ni grand ni beau qu'on illusionne en troubadour de rue avec pour seul château un rêve d'Espagne avec quelques mots

Je n'ai rien d'autre à tirer qu'une infâme bordée Je n'ai rien d'autre à tirer qu'une touche d'herbe humide à brûler les poumons d'une bouffée de glyphosate Je n'ai rien d'autre à tirer qu'une mitraille verbale

pacifique d'un autre océan qu'un portrait sépia mité



Paris, 15 mai

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitu

r

 

HÔTEL PANAME


à partir d'une photographie de Magali MO


Je ne me souviens ni du jour ni de l'heure seulement

de la noirceur de la nuit de la rue de nos rêves Je ne me souviens

ni du nom de la voie

ni de sa voix lorsqu’Elle dit oui

seulement

des réverbères comme uniques étoiles le passage comme une invite à traverser le sombre marauder le temps tarauder nos peurs


Je ne me souviens

ni de nos cadences votives

ni de nos silences fautifs

seulement

de l'enseigne à demi-lumineuse hospitalière de l'ombre pour amours furtives nos doigts nos cœurs entrelacés qui se serrent pour ne plus penser

juste laisser le pavé avaler le latex Je ne me souviens ni de la couleur de ses yeux ni du parfum de ses cheveux seulement sa peau nue froide ses seins roides libres sa soif ma faim et nos deux corps effarouchés

balbutiant vers le néant

Paris, 16-21 mai

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


Photographie © Magali MO


IVRESSE DES SENS


Petit matin

soleil nomade

à jouer sur les murs-miroirs

où le silence se murmure

sanctifié


Le jour se lève

alchimiste

endanse en moirures d’or

l’eau carafée


Je n’attends rien

que le beau

présent


Fermer les yeux

figer l’instant


Une fée des sources

fugitive aux yeux vairons

se libère de sa geôle de verre

se pose sur le col

m’observe à l’envers

à la surface de l’eau

immobile


Elle hésite

nos reflets tressaillent

le miroir se fissure

et des confins de l’âme

elle vole s’abreuver à mes lèvres

par toutes mes failles

elle entremble ma peau

épice mes blessures

enivre mes sens


Aucune jouissance en partage

n’est laide ni vaine

bruit-elle à mon oreille


Le printemps peut bien mourir

et le café rester sur le feu



Paris, 30 mai

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

SAINT-LOUIS-ARAGON




Sans fléchir sa vieille ferraille

seul et fol à la fois

sous la ferveur du vent

qui flétrit la surface du fleuve

fêle les verres et vole l’écorce des platanes


Loin des frasques futiles

du fracas des foules fanatiques

de leur fureur frénétique


Il reste là

réverbère fantôme

divorcé de sa rive infidèle

phare insulaire sans feu ni flamme

figé dans le flot du temps



Paris, 5 juin

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


Photographie © Magali MO




SOIR AUX MARTINETS


Pas de quoi fouetter un chat

ni fêter une chatte

le temps est à n’en pas mettre dehors les effluves de juin ricochent sur les murs la terre a l'humide des orages de lourds nuages flottent encore dans un ciel d'encre de seiche où voltigent des oiseaux de papier noir

et de mauvais augure L'ivrogne a brisé sa boutanche plastique vautré sous l'abribus il maudit fort la petite vertu des dieux qui le privent d'un cul de vieux pape quand il rêvait de ceux de villageoises les ombres bourgeoises s'indignent un mâle à l'insulte facile éructe du cinquième

face au miroir de la rue la presque moitié de la lune semble déjà regretter que la nuit soit si brève en été Le gisant de vinasse a l'éclat d'une émeraude l'ivrogne rassemble ses os et patauge oursement sur les étoiles du caniveau en remontant ses braies cendrées

en brayant comme un veau le quartier se calfeutre peu à peu les fenêtres s'éteignent un rayon bleu tue-mouche clignote encore sur l'énième épisode d'une série policée


Il est temps de rentrer poli

le sommeil factice et l’alarme à l’œil

cerné de mauvais rêves

les tempes dans les ronces

qui déchirent le cœur et les pages


Il est temps de gravir les marches

les deux mains sur la rampe

quand les effluves de juin

ricochent sur les murs

à en étinceler la nuit


Paris, 7-8 juin

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur



 

JARDIN DE REUILLY


À l'embaumée d'un tilleul merle et merlette lantiponnent sans se soucier des enfants qui s’égosillent sautent

courent soulèvent la poussière des allées et font s'envoler les mondes éphémères L'été traverse le jardin entre deux nuages il faut attendre le soir pour entrevoir le soleil Un mouflet pour échapper au chat se camoufle au pied de l'arbre à tisane

l’Amazone au lichen

à la traine filante

résiste à l’usure du temps

et se laisse envouter par la Danse une dame de cœur offre des fleurs à une femme de pierre


Une amoureuse en chair promet son sein nu au regard d'un aimant et lui dulcifie les lèvres assoiffées Un rayon caresse les peaux dévoilées d'une nuée de tendre et de vent parfumé de pollen


Paris, 10 juin

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

INDIFFÉRENCE



Elle

à la fenêtre

fume sous le ciel limpide


De ses lèvres sèches

elle envoie dans un baiser

de petits nuages blancs

ou gris

évanescents


Elle ignore

jusqu’au sens du poème


Elle ignore

tout de sa résilience


Elle m’ignore



Paris, 11 juin

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

AUBE ANTÉCANICULAIRE


Dans l'encore frais silence de l'aube endormie seul est audible le concert des merles entrecoupé des railleries des pies et des sarcasmes des corneilles Alors commence le ballet sonore des martinets dans l’azur fluide vertigineux Un balayeur ouvre une vanne un torrent ricoche sur les bordures son balai va et vient chassant les mégots et les poumons goudronnés Entre les plis du rideau d’en face les ombres saccadées laissent deviner un énervant retard à venir Un bus passe à vide dans un soufflement Les talons d'une matinale qu'on devine en robe légère rythment l'ensemble crescendo decrescendo La boulangerie de l'angle parfume l'air immobile assoupi s'y s'amoncèlent déjà les particules La ville peu à peu se désensommeille Un jeune costumé trottine raide en parlant si fort à personne que le macadam résonne et frémit Les volets se referment en claquant pour échapper pense-t-on à la canicule annoncée la belle m’esquive La rue s’ensoleille il n’est aucun arbre à offrir son feuillage Sous l'abribus on commente matin les poubelles qui débordent la grève la campagne un vieux précoce s'énerve pressé comme un macron un plus vieux s'èRhaiNise au passage d’un voile en étendard une plus verte mutine murmure à peine il n'est pas question de se soumettre aux emmarcheurs inesthètes agitateurs de chiffons moins encore aux rassembleurs de raclures de siphons Leur fracas celui qui change de trottoir par vagues laborieuses – il faut bien s'aliéner – remplace la musique des pots d'échappement moteurs et même avertisseurs jouent trois fois les coqs Mon crayon s’engourdit s’englue moite je m’étourdis de penser à toi et ton parfum s’élève Tu m'essouffles Il fera bientôt fournaise le beau repassera



Paris, 17 juin

© Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 

KANAGAWA

Matin plombé d’un été abrupt et brutal La canicule sublime le mutisme Le chant des merles et ramiers irrémédiablement tu les volets restent clos Rien ne filtre des persiennes que la zébrure imperceptiblement mouvante du soleil Au loin les pleurs d’un enfant transpercent et emplissent le silence Elle rêve d’averse douce du tumulte de l’orage d’une avalanche de glace sur les pentes ardentes du mont Fuji et de cette vague bleu de Prusse tsunamisant l’espace de sa peau fiévreuse sur ses lèvres suaves appelant le baiser la vie l’amour

Paris, 27 juin © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

 

POURRITURE IGNOBLE

Alea jacta est Triple six avec son dévolu ses yeux luisent de larmes bruyantes sur l’autel d’ébène blanchi où sa haine sanglante avide de meute dessine un sillon sombre déchire l’horizon dérive solitaire vers des terres amourantes Il exorcise ses trolls licornes et chimères récuse l’étranger l’autre lui-même de mille mots de sa mâle male heure mêlée d’infinie malice ruisselant son venin Il abime l’amour et la mémoire dans le miroir sans tain de ses cauchemars veules Il efface ses examours jouées impaires et passe les Louise les Léa les Lison les Lou-an viols des quatre saisons au fond de l’impasse le parfum des framboises au velours de leurs lèvres insipides cerises sur les seins nus usurpés tout s’emmêle les effluves d’alcools la part des anges susurre-t-il haletant l’urine et la sueur Au mitan de la nuit il médit maudit les nyctalopes saltimbanques nécromanciennes Il n’est vérité que sienne mordorée mortifère morsure dans la chair Il suinte de ses pores l’acide de son fiel qui creuse ses rides l’aride désert de son cœur rance exécrable jouissance de celui qui blesse laisse enlaisse blesse encore cancérise assassine En silence Jusqu’à la salissure de l’aube

Paris, 22 juin - 7 juillet © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur






22 JUIN 2019[*]


« Nous sommes en train de nous habituer à l’intolérable. »[†]

Quai de Nantes Cœur de nuit Cœurs d'airain Bruits de bottes sur les docks Grondement des chiens qu’on excite Brume artificielle des gaz d’éclairs de métal transpercée Ils ont strangulé la mélodie du solstice martelé les pavés de leurs carapaces de haine piétiné les étincelles de vie Ils ont pulvérisé les étoiles de tes yeux éborgné ton cri de paix submergé ton sourire d'amour crevé tes rêves de gosse

Noyé

Noyé NOYÉ Puis muselé le silence bunkerisé l’oubli

Paris, 22 juin Longues-sur-Mer, 30 juillet © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur

[*] Hommage à Steve Maia Caniço, décédé par noyade dans la Loire après une charge de la police, la nuit de la fête de la musique. [†] Titre d’une tribune publiée le 30 juillet sur le site de France Info par des députées de Bretagne alarmées par des dégradations commises sur leurs permanences.


 

CANICULES

Il est midi bohème Soleil de plomb Le doute m’alchimise

* * * * * * *

Seuls les enfants trouvent la force de s’ébattre et de crier

* * * * * * *

Sidérantes comètes étoiles déstarisées à la dérive

* * * * * * *

Rimes déracinées

* * * * * * *

La raison s’égare illusionne Un rêve sort de ma trajectoire

* * * * * * *

Sa danse immobile et soyeuse funambule et libre transgresse ma solitude fragile ensable ma mémoire

insomniaque et bleutée où l’encre se dilue

* * * * * * *

Chaque ride de ton corps est la mémoire de nos rêves de nos rires de nos larmes de nos paradis de nos enfers


Paris, 26 juin Longues-sur-Mer, 13 août © Autobiopoèmes, Fluctuat nec mergitur


 


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