Textes écrits de 1987 à aujourd'hui
On me demandait récemment : De quel côté es-tu né ? Je répondis : Premiers (é)cri(t)s au vent de soulaere Côté mer côté cœur au large En patois charentais, "soulaere" désigne un vent du sud-ouest. Mais il signifie encore "du côté du soleil", aussi bien levant que couchant...
Paris, 15 septembre 2019 © Autobiopoèmes, Rupella
MIROIRS
Sous la poussière de la fenêtre d’en face il y a un mur de crépi blanc un coin de ciel d’azur Il y a une gouttière où miaule un chat que je n’entends pas Il y a un bout de toit aux tuiles grises et roses Il y a un bout de toi Sous la poussière de la fenêtre d’en face Il y a une autre fenêtre avec sous sa poussière la fenêtre d’en face
La Rochelle, 9 janvier © Autobiopoèmes, Rupella
à Camille, matinale, surtout le dimanche...
Même un ciel gris et la pluie sur les carreaux me font sourire lorsqu'en me saluant ce matin désinvolte tu reproches au soleil paresseux de rester couché A-t-il aussi le droit le dimanche de ne pas se lever tôt ?
Saint-Xandre, 21 mars © Autobiopoèmes, Rupella
MATHILDE
Ton regard est comme la nuit Il rêve et s'égare et s'enfuit La lune l'attire le vole et le garde Tout chavire
Dors Je te regarde
Saint-Xandre, 17 avril © Autobiopoèmes, Rupella
UNE VIE
Je viens de la mer où s’embrase et naufrage le ciel de cette terre au présent soumise aux marées fluctuantes De ses rives on interroge le firmament on écoute ses prophéties on exégèse on vaticine sans cesse un demain que bourrasque aussitôt la brise maligne et capricieuse on s'imagine falaise insubmersible on n'est que sable instable et dispersible Depuis l'enfance on scrute le brouillard en espérant voir en surgir un navire fantôme le regard funambule sur la crête d'écume divague sur la courbe sensuelle d'un horizon rêvé d'une caresse on frôle l'évasion la voix rivalise avec le grondement des vagues Puis vient l'âge écarlate quand éclate la révolte on rêve solitaire et taiseux de tempêtes mutines de voyages à deux d'amours crépusculaires
de secrets inviolés Dans ce pays luminescent d'or et d'azur on mêle alors le gris et le noir les pleurs aux embruns en un camaïeu funèbre où l'on dissimule son chagrin où l'on ravale ses larmes amères on s'abreuve d'orgueil on ne cède rien sait par cœur les sentiers lunaires tremble seul sous les érables entre les amours filantes on tutoie les muses par la faute des vents
ou des étoiles mortes
on leur est infidèle
L’heure est amère
Il faut jeter l'ancre dans un port qu'on pardonne il faut être adulte aimer la traîtrise de l'ordre
honnir le tumulte semer goûter au bonheur délaisser les fées de la nuit
endiguer le désir enrober les corps
ranger sa plume C'est l'âge rédempteur
où l'on s'oublie on ne songe qu'à l'hiver on devient fourmi l'encrier s'assèche on ne sait plus mentir on se ment pourtant Dans l’âtre des sentiments
on laisse s’éteindre les braises
on se laisse flétrir l'âme et les amours on masque les souvenirs
sous l'antirides on charbonne le sel et la cendre de ses cheveux
on hésite entre Charybde et Scylla
on s’embarrasse de chimères
on s’embrase d’artifices
on ne compte plus les verres
les bouteilles à l’amer
on a depuis le lointain
cessé d'écrire et de chanter
d’aimer même les grandes malines
on paraît sans être
Il faut le cœur ou la folie marine pour laisser la douceur d’un toit
la chaleur des murs
accepter de passer les tours ignorer les iles affronter la tourmente
renaître à l’automne
amoureux
et se croire au printemps
essorer la mémoire et ses secrets
au vieux lavoir du temps
susciter l’embellie
Paris, 6-9 mai 2021
© Autobiopoèmes, Rupella
LA COUBRE
« Je suis Phare dressé sur la mer infinie Je suis Phare embrasant les nuits océanes Je suis Phare ce vit sans ombre ni pudeur Combien sans fanal de frêles esquifs brisèrent leur vie contre mes récifs interroge l’amer de sa voix rauque obscène – Je suis l’œil du cyclone répond-Elle assurée le feu des naufrageuses Tu te noies dans ma première et mon second te consume Si tu valides la tierce la vie sauve tu conserves – Je serai ce troisième Sur lequel tu t’empales »
Rochefort-sur-Mer, 3 juin © Autobiopoèmes, Rupella
BRUITS DE GARE
Est-ce le bruissement du vent qui saline d'ailes d'un oiseau la nuit d'une voile que l'on tend du temps qui froisse notre souvenance
Est-ce le long silence des étoiles nues des nuages qui les cachent de la mort qui se tapit
Triste destin de ma désespérance Triste train sans partance
Poitiers, 11 juin © Autobiopoèmes, Rupella
QUICHENOTTE*
Je suis de ce pays lumineux
que battent vents et marées
où l’on ne s’embrasse
ni ne dit l’amour
on y pêche en silence
Quand s’y embrase le ciel
de mille teintes mille saveurs
on se voile de feintes pudeurs
on préfère noyer ses larmes
dans un océan de noirceur
Du haut des falaises
repenti sans honneur sans espoir
on jette sa tendresse
et son trop plein de je t’aime
et son cœur dans l’abime
À l’aube des siècles
des marnes sacrées
on exhumera sans trouble
fossiles sans âme
ces paradis illicites
La Rochelle, 20 juin
© Autobiopoèmes, Rupella
*Coiffe traditionnelle des Charentaises. Une légende veut que les Saintongeaises l’imaginèrent et la confectionnèrent pour repousser les avances des soldats anglais pendant la Guerre de Cent Ans : du « kiss not » serait donc née la quichenotte…
LA ROCHELLE 2020
Pourquoi chaloupes-tu entre les lignes les masques tombent on ferme les yeux mémoire rembobinée j'enregistre les tours du port et les drisses
les reflets de l’eau sur les coques les pavés luisent sous l'averse sur le quai les passantes en pleurs glissent plus qu'elles ne dansent même si les robes s'alourdissent
Les souvenirs tourbillonnent sans regret dans nos veines apaisées l'ondée lave l'auvent de nos perles d'enfance les souvenirs dansent et ricochent
Nos bières moussent et nos barbes aussi tes yeux pétillent j'ai vingt-huit ans
Bien plus tard à Paris la nuit la lune le poids des ans qui imbibent l'été
La Rochelle-Paris, 27 août
© Autobiopoèmes, Rupella
VERS LA PALLICE ET LE LARGE
I (enfance)
Sur ce pont des Cordeliers
au pied des châteaux d’eau
j’attendais fébrile
le train de marchandises
ses wagons rouillés
trémies et grumiers
tombereaux et citernes
porte-conteneurs
Poings délicatement fermés
le regard rivé sur les rails
je tendais l’oreille
guettais le chant de la loco
S’il fallait partir sans attendre
je lâchais mes hélicoptères
sur la voie de chemin de fer
leur danse estompait mon infortune
Mais si j’entendais enfin le roulement
À l’approche du convoi
je desserrerai mes doigts
pour laisser dans un tourbillon
s’envoler mes graines ailées
J’imaginais que ces samares
germeraient de l’autre côté des mers
sur des terres
et qu’un autre enfant là-bas peut-être
ramasserait une graine ailée
pour la jeter de l’écluse
sur le pont d’une péniche
II (adolescence)
Dans cet envers où tout te respire on entend jusqu'au souffle amoureux des pierres sous ta main jusqu'à la caresse frivole des pavés comme un lest jusqu'à l'humide baiser du métal rivé sur les traverses
dans les ballasts de tes amours citadines containerisées
La Rochelle, 27 aout
Paris, 28 aout
© Autobiopoèmes, Rupella
FLEUR DE SEL
J'ai tant de larmes en mon cœur
qu'avec quelques rayons de soleil
on y verrait l'arc en ciel
avec l'auntén en Ars
on y récolterait tant de pilots
que le charroi s'éterniserait
jusqu'aux tourments de l'automne
Île de Ré, 22 octobre
© Autobiopoèmes, Rupella
SOUVENIR
Mon violon d’enfant violentait leurs oreilles Il clamait mes amours grinçantes Les deux tilleuls trapus du jardin en recevaient les confidences Je leur étais reconnaissant tant ils en perdaient en silence leurs larges feuilles jaunies Mon violon violonait mon message voilait leurs mensonges volait mes songes Il me fut bien plus sage et limpide de remercier Bruch et Brahms de délaisser l’archet pour la plume les notes pour les mots Il en reste la mélodie de mes maux comme une ancre ensablée ce silence volubile et mélancolique de l’encre qui chante sur la page blanche puis cette fière jouissance la fièvre jouissive hissant à l’infini mes explorations adolescentes scriptées
Châtelaillon, 1er novembre © Autobiopoèmes, Rupella
D’HUMUS ÉTOILÉ ?
Enfant, j'étais sans cesse incité à l'humilité. Rester accroché à l'humus comme un châtiment céleste. Ma mère disait que je n'étais que poussière – "pulvis es et in pulverem reverteris" – ce que mon professeur de sciences, matérialiste et laïc, nommait "amas d'atomes". Auraient-ils sciemment omis de préciser qu'il s'agissait de poussières d'étoiles ? Je regardais les filles merveilleusement atomiques, amoureusement cosmiques et trouvais magnifiques ces poussières. De celles qui constellisent l'existence, scintillent dans vos yeux. De celles qui vous élèvent vers les cieux athées. De celles qui se ressuscitent en vos âmes, ravivent l'amour, sa flamme... Dès lors, à l'encre de lune, adolescent, je trempai ma plume. Mes nuits blanchies par les milliards d'atomes luminescents, j'ancrais nuit après jour mes scories sur le sentier de mes pensées, sombres, illuminées, sur le parchemin de la vie.
La Rochelle, 1er novembre © Autobiopoèmes, Rupella
MAISON D’ENFANCE
Cette grande maison blanche déclose était toujours trop petite tant y passaient
sans toujours être invité·es s'installaient celles et ceux dont on ne savait plus s'iels étaient des ami·es des pèlerin·es des inconnu·es iels étaient
de bon cœur la famille
le temps d'une visite d'un repas d'une étape
On y revenait on y restait on s'y serrait les fenêtres restaient ouvertes sur la cour ses moineaux et ses merles sur les tilleuls qui masquaient les murs et les draps qui claquaient comme des voiles
sous le vent de galérne
On humait le fumet du merlu ou des marinières on entendait le sifflet de la marmite et les verres et les couverts tinter sur la table à rallonges on partagerait
On s'y aimait
se disputait
se séparait
s'y retrouvait
Le matin la mère envoyait en balade les hôtes
pour mieux préparer leur midi
la table était simple et hospitalière
le père ôtait la cire ou l’étain
et le liège d’un vin trop vieux
qu’on feignait d’aimer
Le tantôt à l’identique jusqu’au dîner
Et puis la vieillesse ses apocalypses et les souvenirs les doux les violents ont eu raison des murs restés muets du vieux Gaveau devenu silencieux
On a vendu la maison grise
D’autres ont arraché la vigne
tronçonné les arbres
emmuré le jardin
Plus personne n'y passe sinon la mémoire qui la hante la parsème d'amour ou de sordide Elle est devenue étrangère à nos passés impersonnelle inhospitalière
insensible close
La Rochelle, 2 novembre
© Autobiopoèmes, Rupella
D’AUNIS
Je suis de ce pays des aulnes au blason de perdrix de sel et de vin tourné vers les iles et le large pays de légendes
peuplé de rebuts de déclassés
de malfrats
de bagnards
de naufrageuses Je suis de ce pays de roches
de marécages ville rebelle et libre
république avant l’heure refuge de protestants à l’abri des remparts six fois assiégée ville de résistance au sinistre Richelieu
fière trop fière ville d’armateurs négriers enrichie de leurs crimes
ville courage
avec ses terre-neuvas
ville de ce maire insoumis refusant le pavillon nazi
sensible à la Terre
à la mer et leur devenir
port de luttes et d’espérance
havre d’enfance
Je suis aussi l'héritier
de ce pays à l'humanité fluctuante
Paris, 11 décembre
© Autobiopoèmes, Rupella
AVANT NOËL
Un à un deux par deux les enfants sont partis pressés sans même un au-revoir pour les deux vieux acacias Emmitouflés dans leurs rêves sans même une pensée pour le ciel chargé de neige fatigué de tant d’indifférence Un à un deux par deux ils se sont évanouis comme envolés sans même un au-revoir pour la pierre et le sable encapuchonnés Sans même un baiser pour les deux bergeronnettes grises qui courent encore après quelques miettes oubliées Pauvres arbres dénudés pauvre pierre pauvre sable pauvres oiseaux qu’elle est triste ma cour d’école lorsque ne restent avec moi pour pleurer que les deux acacias la pierre et le sable et deux bergeronnettes en robes de deuil
Cabariot, 21 décembre © Autobiopoèmes, Rupella
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