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Photo du rédacteurHenri Baron

AUTOBIOPOÈMES - Rupella

Dernière mise à jour : 18 déc. 2021


Textes écrits de 1987 à aujourd'hui




On me demandait récemment : De quel côté es-tu né ? Je répondis : Premiers (é)cri(t)s au vent de soulaere Côté mer côté cœur au large En patois charentais, "soulaere" désigne un vent du sud-ouest. Mais il signifie encore "du côté du soleil", aussi bien levant que couchant...

Paris, 15 septembre 2019 © Autobiopoèmes, Rupella

 

MIROIRS

Sous la poussière de la fenêtre d’en face il y a un mur de crépi blanc un coin de ciel d’azur Il y a une gouttière où miaule un chat que je n’entends pas Il y a un bout de toit aux tuiles grises et roses Il y a un bout de toi Sous la poussière de la fenêtre d’en face Il y a une autre fenêtre avec sous sa poussière la fenêtre d’en face

La Rochelle, 9 janvier © Autobiopoèmes, Rupella

 

à Camille, matinale, surtout le dimanche...

Même un ciel gris et la pluie sur les carreaux me font sourire lorsqu'en me saluant ce matin désinvolte tu reproches au soleil paresseux de rester couché A-t-il aussi le droit le dimanche de ne pas se lever tôt ?

Saint-Xandre, 21 mars © Autobiopoèmes, Rupella

 

MATHILDE

Ton regard est comme la nuit Il rêve et s'égare et s'enfuit La lune l'attire le vole et le garde Tout chavire

Dors Je te regarde

Saint-Xandre, 17 avril © Autobiopoèmes, Rupella

 

UNE VIE



Je viens de la mer où s’embrase et naufrage le ciel de cette terre au présent soumise aux marées fluctuantes De ses rives on interroge le firmament on écoute ses prophéties on exégèse on vaticine sans cesse un demain que bourrasque aussitôt la brise maligne et capricieuse on s'imagine falaise insubmersible on n'est que sable instable et dispersible Depuis l'enfance on scrute le brouillard en espérant voir en surgir un navire fantôme le regard funambule sur la crête d'écume divague sur la courbe sensuelle d'un horizon rêvé d'une caresse on frôle l'évasion la voix rivalise avec le grondement des vagues Puis vient l'âge écarlate quand éclate la révolte on rêve solitaire et taiseux de tempêtes mutines de voyages à deux d'amours crépusculaires

de secrets inviolés Dans ce pays luminescent d'or et d'azur on mêle alors le gris et le noir les pleurs aux embruns en un camaïeu funèbre où l'on dissimule son chagrin où l'on ravale ses larmes amères on s'abreuve d'orgueil on ne cède rien sait par cœur les sentiers lunaires tremble seul sous les érables entre les amours filantes on tutoie les muses par la faute des vents

ou des étoiles mortes

on leur est infidèle

L’heure est amère

Il faut jeter l'ancre dans un port qu'on pardonne il faut être adulte aimer la traîtrise de l'ordre

honnir le tumulte semer goûter au bonheur délaisser les fées de la nuit

endiguer le désir enrober les corps

ranger sa plume C'est l'âge rédempteur

où l'on s'oublie on ne songe qu'à l'hiver on devient fourmi l'encrier s'assèche on ne sait plus mentir on se ment pourtant Dans l’âtre des sentiments

on laisse s’éteindre les braises

on se laisse flétrir l'âme et les amours on masque les souvenirs

sous l'antirides on charbonne le sel et la cendre de ses cheveux

on hésite entre Charybde et Scylla

on s’embarrasse de chimères

on s’embrase d’artifices

on ne compte plus les verres

les bouteilles à l’amer

on a depuis le lointain

cessé d'écrire et de chanter

d’aimer même les grandes malines

on paraît sans être

Il faut le cœur ou la folie marine pour laisser la douceur d’un toit

la chaleur des murs

accepter de passer les tours ignorer les iles affronter la tourmente

renaître à l’automne

amoureux

et se croire au printemps

essorer la mémoire et ses secrets

au vieux lavoir du temps

susciter l’embellie



Paris, 6-9 mai 2021

© Autobiopoèmes, Rupella

 

LA COUBRE

« Je suis Phare dressé sur la mer infinie Je suis Phare embrasant les nuits océanes Je suis Phare ce vit sans ombre ni pudeur Combien sans fanal de frêles esquifs brisèrent leur vie contre mes récifs interroge l’amer de sa voix rauque obscène – Je suis l’œil du cyclone répond-Elle assurée le feu des naufrageuses Tu te noies dans ma première et mon second te consume Si tu valides la tierce la vie sauve tu conserves – Je serai ce troisième Sur lequel tu t’empales »

Rochefort-sur-Mer, 3 juin © Autobiopoèmes, Rupella

 

BRUITS DE GARE

Est-ce le bruissement du vent qui saline d'ailes d'un oiseau la nuit d'une voile que l'on tend du temps qui froisse notre souvenance

Est-ce le long silence des étoiles nues des nuages qui les cachent de la mort qui se tapit

Triste destin de ma désespérance Triste train sans partance

Poitiers, 11 juin © Autobiopoèmes, Rupella



 


QUICHENOTTE*




Je suis de ce pays lumineux

que battent vents et marées

où l’on ne s’embrasse

ni ne dit l’amour

on y pêche en silence


Quand s’y embrase le ciel

de mille teintes mille saveurs

on se voile de feintes pudeurs

on préfère noyer ses larmes

dans un océan de noirceur


Du haut des falaises

repenti sans honneur sans espoir

on jette sa tendresse

et son trop plein de je t’aime

et son cœur dans l’abime


À l’aube des siècles

des marnes sacrées

on exhumera sans trouble

fossiles sans âme

ces paradis illicites



La Rochelle, 20 juin

© Autobiopoèmes, Rupella


*Coiffe traditionnelle des Charentaises. Une légende veut que les Saintongeaises l’imaginèrent et la confectionnèrent pour repousser les avances des soldats anglais pendant la Guerre de Cent Ans : du « kiss not » serait donc née la quichenotte…


LA ROCHELLE 2020


Pourquoi chaloupes-tu entre les lignes les masques tombent on ferme les yeux mémoire rembobinée j'enregistre les tours du port et les drisses

les reflets de l’eau sur les coques les pavés luisent sous l'averse sur le quai les passantes en pleurs glissent plus qu'elles ne dansent même si les robes s'alourdissent

Les souvenirs tourbillonnent sans regret dans nos veines apaisées l'ondée lave l'auvent de nos perles d'enfance les souvenirs dansent et ricochent

Nos bières moussent et nos barbes aussi tes yeux pétillent j'ai vingt-huit ans

Bien plus tard à Paris la nuit la lune le poids des ans qui imbibent l'été

La Rochelle-Paris, 27 août

© Autobiopoèmes, Rupella



 


VERS LA PALLICE ET LE LARGE




I (enfance)



Sur ce pont des Cordeliers

au pied des châteaux d’eau

j’attendais fébrile

le train de marchandises

ses wagons rouillés

trémies et grumiers

tombereaux et citernes

porte-conteneurs


Poings délicatement fermés

le regard rivé sur les rails

je tendais l’oreille

guettais le chant de la loco


S’il fallait partir sans attendre

je lâchais mes hélicoptères

sur la voie de chemin de fer

leur danse estompait mon infortune


Mais si j’entendais enfin le roulement

À l’approche du convoi

je desserrerai mes doigts

pour laisser dans un tourbillon

s’envoler mes graines ailées


J’imaginais que ces samares

germeraient de l’autre côté des mers

sur des terres

et qu’un autre enfant là-bas peut-être

ramasserait une graine ailée

pour la jeter de l’écluse

sur le pont d’une péniche



II (adolescence)



Dans cet envers où tout te respire on entend jusqu'au souffle amoureux des pierres sous ta main jusqu'à la caresse frivole des pavés comme un lest jusqu'à l'humide baiser du métal rivé sur les traverses

dans les ballasts de tes amours citadines containerisées




La Rochelle, 27 aout

Paris, 28 aout

© Autobiopoèmes, Rupella



 


FLEUR DE SEL


J'ai tant de larmes en mon cœur qu'avec quelques rayons de soleil on y verrait l'arc en ciel avec l'auntén en Ars on y récolterait tant de pilots que le charroi s'éterniserait jusqu'aux tourments de l'automne

Île de Ré, 22 octobre

© Autobiopoèmes, Rupella

 

SOUVENIR

Mon violon d’enfant violentait leurs oreilles Il clamait mes amours grinçantes Les deux tilleuls trapus du jardin en recevaient les confidences Je leur étais reconnaissant tant ils en perdaient en silence leurs larges feuilles jaunies Mon violon violonait mon message voilait leurs mensonges volait mes songes Il me fut bien plus sage et limpide de remercier Bruch et Brahms de délaisser l’archet pour la plume les notes pour les mots Il en reste la mélodie de mes maux comme une ancre ensablée ce silence volubile et mélancolique de l’encre qui chante sur la page blanche puis cette fière jouissance la fièvre jouissive hissant à l’infini mes explorations adolescentes scriptées

Châtelaillon, 1er novembre © Autobiopoèmes, Rupella

 

D’HUMUS ÉTOILÉ ?


Enfant, j'étais sans cesse incité à l'humilité. Rester accroché à l'humus comme un châtiment céleste. Ma mère disait que je n'étais que poussière – "pulvis es et in pulverem reverteris" – ce que mon professeur de sciences, matérialiste et laïc, nommait "amas d'atomes". Auraient-ils sciemment omis de préciser qu'il s'agissait de poussières d'étoiles ? Je regardais les filles merveilleusement atomiques, amoureusement cosmiques et trouvais magnifiques ces poussières. De celles qui constellisent l'existence, scintillent dans vos yeux. De celles qui vous élèvent vers les cieux athées. De celles qui se ressuscitent en vos âmes, ravivent l'amour, sa flamme... Dès lors, à l'encre de lune, adolescent, je trempai ma plume. Mes nuits blanchies par les milliards d'atomes luminescents, j'ancrais nuit après jour mes scories sur le sentier de mes pensées, sombres, illuminées, sur le parchemin de la vie.


La Rochelle, 1er novembre © Autobiopoèmes, Rupella

 

MAISON D’ENFANCE




Cette grande maison blanche déclose était toujours trop petite tant y passaient

sans toujours être invité·es s'installaient celles et ceux dont on ne savait plus s'iels étaient des ami·es des pèlerin·es des inconnu·es iels étaient

de bon cœur la famille

le temps d'une visite d'un repas d'une étape

On y revenait on y restait on s'y serrait les fenêtres restaient ouvertes sur la cour ses moineaux et ses merles sur les tilleuls qui masquaient les murs et les draps qui claquaient comme des voiles

sous le vent de galérne

On humait le fumet du merlu ou des marinières on entendait le sifflet de la marmite et les verres et les couverts tinter sur la table à rallonges on partagerait

On s'y aimait se disputait se séparait s'y retrouvait

Le matin la mère envoyait en balade les hôtes

pour mieux préparer leur midi

la table était simple et hospitalière

le père ôtait la cire ou l’étain

et le liège d’un vin trop vieux

qu’on feignait d’aimer

Le tantôt à l’identique jusqu’au dîner

Et puis la vieillesse ses apocalypses et les souvenirs les doux les violents ont eu raison des murs restés muets du vieux Gaveau devenu silencieux

On a vendu la maison grise


D’autres ont arraché la vigne

tronçonné les arbres

emmuré le jardin

Plus personne n'y passe sinon la mémoire qui la hante la parsème d'amour ou de sordide Elle est devenue étrangère à nos passés impersonnelle inhospitalière

insensible close


La Rochelle, 2 novembre

© Autobiopoèmes, Rupella



 

D’AUNIS




Je suis de ce pays des aulnes au blason de perdrix de sel et de vin tourné vers les iles et le large pays de légendes

peuplé de rebuts de déclassés

de malfrats

de bagnards

de naufrageuses Je suis de ce pays de roches

de marécages ville rebelle et libre

république avant l’heure refuge de protestants à l’abri des remparts six fois assiégée ville de résistance au sinistre Richelieu

fière trop fière ville d’armateurs négriers enrichie de leurs crimes

ville courage

avec ses terre-neuvas

ville de ce maire insoumis refusant le pavillon nazi

sensible à la Terre

à la mer et leur devenir

port de luttes et d’espérance

havre d’enfance

Je suis aussi l'héritier

de ce pays à l'humanité fluctuante



Paris, 11 décembre

© Autobiopoèmes, Rupella


 

AVANT NOËL


Un à un deux par deux les enfants sont partis pressés sans même un au-revoir pour les deux vieux acacias Emmitouflés dans leurs rêves sans même une pensée pour le ciel chargé de neige fatigué de tant d’indifférence Un à un deux par deux ils se sont évanouis comme envolés sans même un au-revoir pour la pierre et le sable encapuchonnés Sans même un baiser pour les deux bergeronnettes grises qui courent encore après quelques miettes oubliées Pauvres arbres dénudés pauvre pierre pauvre sable pauvres oiseaux qu’elle est triste ma cour d’école lorsque ne restent avec moi pour pleurer que les deux acacias la pierre et le sable et deux bergeronnettes en robes de deuil

Cabariot, 21 décembre © Autobiopoèmes, Rupella

 


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